Nous sommes allés voir la pièce de théâtre: « Le Hikikomori sort de chez lui »…

Commentaires et réactions après avoir vu cette pièce autobiographique, par des médecins et parents de notre groupe touchés et concernés par cette conduite d’enfermement.

LE HIKIKOMORI SORT DE CHEZ LUI ヒッキー・ソトニデテミターノ THÉÂTRE – HIDETO IWAI

PRESENTATION PAR JEAN COUTURIER

Autobiographique, cette pièce nous plonge dans l’univers des Japonais qui ont choisi de vivre reclus chez eux. Contrairement aux personnes-surtout âgées-atteintes du syndrome de Diogène, vivant repliées dans la saleté et l’accumulation d’objets, le hikikomori, lui, est plutôt jeune. Suite à un traumatisme psychologique, il s’enferme, le plus souvent dans sa chambre, en se coupant de ses parents.

Ainsi Hideto Iwai a ainsi vécu de seize à vingt ans. Comme seul lien avec l’extérieur: les visites de sa sœur, et un abonnement aux chaînes du câble. Grâce au théâtre amateur, il a fait ses premières échappées : «J’ai dû me créer un nouveau personnage pour sortir de chez moi, dit-il. Il m’a fallu tuer quelque chose de très important en moi. Si on me demande aujourd’hui si on doit faire sortir les hikikomori de leur appartement, je ne sais toujours pas comment répondre. Pour ma part, j’ai eu de la chance de pouvoir le faire car j’ai alors changé mon image et j’ai rencontré le théâtre. »

De son expérience, il a tiré une pièce qu’il met en scène et joue avec des partenaires, tous incroyables de réalisme. On assiste au quotidien d’un atelier de réinsertion sociale des hikikomori utilisant les méthodes de thérapie de groupe. La première étape : faire sortir le reclus de chez lui, et lui proposer d’autres liens humains que ses parents. Ensuite, on tente de le faire entrer dans le monde du travail. Cela peut réussir mais mène parfois aussi à des échecs cruels. Un des personnages, Kazuo Saito choisit ainsi de se suicider, plutôt que d’avoir à affronter le monde.

Les comédiens jouent en chaussettes dans un espace délimité par un petit muret, au milieu de tables et chaises qu’on déplace en fonction des besoins. Le Hikikomori sort de chez lui remet en cause toute une société japonaise très codifiée et qui a tendance à restreindre les libertés individuelles, chères à l’esprit européen. Les personnages sont touchants et, malgré quelques longueurs, ce spectacle nous offre en deux heures offre de beaux moments d’émotion et de sourire avec des situations parfois surréalistes. Un théâtre-documentaire rare qu’il ne faut pas hésiter à aller découvrir.

 

MJ GUEDJ, X BENAROUS, Mme et M. BOYER, M FANSTEN, C FIGUEREIDO, D SILLIAU, N VELLUT : QUE DONNE A PENSER LA PIECE COMME DESCRIPTION DU PHENOMENE HUMAIN GENERAL DE CES JEUNES ET DE LA SOCIETE JAPONAISE COMME SINGULIERE ?

Nos réflexions ne sont pas dissociables des échanges avec l’auteur que celui-ci mit en place à la fin de la pièce, allant jusqu’à étendre la définition de l’enfermement. Classiquement c’est l’absence ou la rareté des sorties de l’adulte jeune pendant au moins 6 mois, hors du domicile familial ou seulement pour de rares tâches utilitaires quand on ne peut rencontrer personne, avec une absence de relations autres que familiales ou virtuelles, et une absence d’insertion scolaire ou professionnelle. La mise en scène utilise un carré qui entoure la scène et qui permet aux comédiens de ne pas entrer en interaction directe, de ne pas se regarder, en même temps que l’auteur a choisi de maintenir les 9 acteurs présents sur scène en permanence. Si cette mise en scène nous rappelle la description de l’autisme Asperger par l’absence de place laissée à l’imprévisible, par la globalisation des 9 acteurs sans place pour le manque ou l’absence, par le haut niveau verbal des protagonistes en même temps que l’absence de relations entre les personnes, l’auteur interroge le hikikomori comme une expérience humaine trop humaine qui se résume par: ne pas sortir, mais de quel territoire ? Mais alors nous tous concernés?

Le refus ou l’impossibilité d’accepter les compromis de la fiction sont constants. Cela peut paraître paradoxal car une pièce de théâtre en a résulté malgré tout. En réponse à une question, on peut considérer que le théâtre et hikikomori ont la même structure : monde très réel et pourtant à côté du monde habituel, ce monde de l’acteur et du hikikomori qui ne peuvent faire autrement que ce qu’ils font l’un et l’autre. Le défaut de ressentir, de se mettre à la place de l’autre, autrement dit le défaut de théorie de l’esprit est compensé par l’obligation pour l’acteur de théâtre de se mettre à la place du personnage. Mais ce mécanisme a besoin du cadre matérialisé par le théâtre, a fortiori par l’encadrement de la scène vu ci-dessus.

A propos de la fiction, n’avons-nous pas  affaire à des sujets pour lesquels le maniement du semblant est impossible. Ils sont dans le réel, et le réel il n’y en a qu’un et il est univoque (pas de cristal de la langue façon Freud ! pas de jeu sur les équivoques).

L’auteur sans se présenter introduit lui-même la pièce en expliquant très joliment et très théâtralement qu’il faut éteindre les téléphones portables et ne pas manger de bonbons, ou les manger vite pour diminuer le temps du bruit du papier, puis il prend sa place d’acteur. Comme exemple d’une fiction impossible à admettre, il explique qu’il ne peut s’intéresser au monde de Disney : si Mickey arrivait à moitié costumé et annonçait qu’il va se déguiser, seulement alors l’auteur accepterait la fiction de Disney. L’exigence d’authenticité est à l’œuvre chez les hikikomori, sans compromis tel que le demande la vie sociale, ici aussi. Par exemple on remarque que le nom des personnages n’est pas laissé au hasard : au cœur du problème de la prise en charge des hikikomori, ils s’appellent Morita, Saito et Suzuki soit les noms de psychiatres japonais célèbres s’intéressant aux hikikomori.

La violence et la proximité de la mort sont reconnues. Le bruit de l’étage au-dessus indique que le jeune n’est pas mort, en même temps que ce bruit est très intrusif. Le jeune reclus Taro frappe ses parents, il leur dit qu’ils veulent sa mort et ne sont pas capables de le reconnaître, il fait venir la police pour dénoncer leurs exactions (ce qui entraîne qu’il soit emmené lui-même). Il exclut ses parents du domaine commun. La proposition de l’affamer faite par l’équipe du foyer confine au risque létal et la mère craint pour la vie de son fils. Il frappe les anciens hikikomori du foyer. Le jeune Morita rencontre des déboires le jour où il sort faire des courses : un groupe de lycéens le frappe. Kazuo remercie pour l’aide qui lui a été apportée (tentative de compromis vers la politesse et l’insertion) et se suicide aussitôt. Le grand frère (rental brother ancien hikikomori) cherche en permanence l’altercation violente. Quand l’auteur est sorti de l’enfermement, il était allé sur le balcon pour se suicider, a eu peur de mourir et s’est décidé à faire quelque chose de sa vie avant de mourir. L’auteur raconte qu’il n’a pu représenter le père sur scène qu’une fois son propre père décédé, autrement dit si le père ne peut être représenté qu’une fois mort c’est qu’il n’est pas… représenté. C’est lui qui est sur scène, ou son double réel si on préfère, le double étant très important, à la fois vital et menaçant dans l’autisme. Selon lui, sortir c’est tuer une partie de soi, il se considère en effet dédoublé entre les personnages de Taro et Kazuo.

Les parents sont représentés comme terrorisés, père et mère. Ils passent leur temps à s’excuser face à la violence du fils, le jeune Morita devenu aidant s’excusera sans fin lors du suicide de Kazuo. Ces excuses sont insupportables tant pour le fils reclus que pour le père du reclus disparu. La mère présente un véritable trouble de l’attachement, elle voudrait être toujours tout près, tout en énonçant qu’ils n’ont pas vu leur fils depuis 3 ans, dans leur propre maison.

Les cas sont différents entre Taro, Kazuo, Morita, et le grand frère (autiste Asperger ou pire) tenant des propos bizarres sur le sang, l’équilibre du monde…Ils sont décrits comme serviables, sociables, recherchés dès qu’ils sont en société. Mais ils ne peuvent ressentir les émotions des autres, notamment la violence ou la douleur. Taro devient lui-même violent quand il se sent attaqué, de manière très égocentrique. L’auteur nous propose des personnages variés, qui disent tous quelque chose de la relation à l’extérieur, de la conformité aux normes telles qu’ils les investissent, de la société japonaise. Morita qui est sorti et devenu un « aidant » mais dont tous moquent l’étrangeté et les maladresses : tellement pas au point qu’il n’aurait peut-être pas dû sortir, dit l’un ! Comme si les imparfaits devaient rester cachés. Kazuo, précisément, qui ne s’imagine pouvoir sortir que s’il parvient à indiquer parfaitement à un interlocuteur virtuel le chemin : mémoriser parfaitement tout le parcours à effectuer, l’énoncer sur le ton idéal, clair sans être pressant, bref, réaliser l’impossible : la performance parfaite, de sa chambre d’abord, pour pourvoir performer ensuite dans le monde extérieur. Le grand frère, qui répète sans cesse que ça ne peut pas tenir debout « quelque chose qui a cette forme-là », la forme d’une pyramide inversé. Où l’on voit que le plus fou ou le plus étrange des personnages, est celui qui énonce l’évidence : comment peut-on y aller, investir le monde, se lancer dans la vie sociale, quand on a affaire à une société qui ne tient pas debout et menace de s’effondrer, la société japonaise et sa pyramide des âges intenable, si peu de jeunes devant supporter tant de vieux ?

 

Le mode de prise en charge peut apparaître comme le sujet principal de la pièce. La rental sister agit comme dans un lieu de traitement psychiatrique institutionnel en France. Elle cible la toute-puissance, la honte, l’enfermement comme un refus d’être limité par le principe de réalité, par exemple en énumérant tout ce qui vient de Chine et non du Japon. Si le hikikomori est une revendication de l’identité japonaise, elle le  tourne en dérision. La prise en charge consiste à faire sentir les choses : la faim, la douleur après un coup porté, et aussi à ne pas nier la douleur morale déclenchée par la mort. Il en est de même pour la notion de temps que les Hikikomori semblent perdre. Il y a par exemple la sortie progressive que va vivre le personnage Kazuo, et la patience durant des années dont va faire preuve son « éducatrice » pour l’amener jusqu’au foyer. Cette notion de temps  est décrite aussi par les changements de mode de vie que les hikikomori découvrent quand ils réussissent à sortir.

 

En revoyant ce que nous a apporté la psychothérapie institutionnelle de Laborde ou Saint Alban, il existe de grandes similitudes avec la vie institutionnelle au foyer de hikikomori présentée dans la pièce : micromonde en dehors de la société, critique de celle-ci, même si le but est de retourner dans le monde, les anciens patients devenus soignants et véritable noyau de la prise en charge comme ici les anciens hikikomori, la parole sollicitée sans cesse, des patients entre eux, lors des réunions soignants-soignés, les ateliers artistiques et occupationnels comme organisateurs de ce micromonde.

Le mode d’entrée dans l’enfermement n’est pas le sujet ni de la pièce ni du commentaire, tout au plus parlera-t-on de la triple action du harcèlement, des pressions diverses et de difficultés psychologiques. Quant à la sortie, c’est le sujet de la pièce comme si rien d’autre ne comptait (visites à domicile, foyer, affamer, faire les courses, chercher du travail) d’où la position prudente de l’auteur : ne pas forcer à sortir si le jeune est heureux comme cela car on ne sait pas ce qu’il va rencontrer en sortant…Mais un jeune hikikomori peut-il ressentir véritablement le bonheur d’être enfermé ??? La question fondamentale qui est posée ici est celle de la coupure même du monde des sentiments et des émotions de ces personnages (et de la plupart des cas étudiés). Même si la colère exprimée, la peur de se tromper ou de communiquer, seraient du registre des émotions éprouvées, s’enfermer est peut-être justement une manière d’enfermer l’expression de ces expressions de soi non intellectualisées, non contrôlées et contrôlables…

 

Et pour terminer lisons le témoignage de parents à la sortie de la pièce qui se sont reconnus à l’occasion de plusieurs « flashes très furtifs » intervenus lors de la représentation :

-lorsque les parents du hikikomori l’ont découvert, après une longue absence,  avec de  longs cheveux lui cachant son visage

 – la violence verbale qui était exercée auprès de ses propres parents, et des manifestations de mécontentement

 – la volonté du fils hikikomori de vouloir éviter les autres, plus précisément le monde extérieur

– l’isolement au quotidien

– les détritus et immondices à  l’intérieur de l’appartement, plus particulièrement dans sa chambre

– lorsque des bruits surgissaient à l’intérieur de la chambre de l’enfant, et la peur et la crainte des parents à l’écoute de ces bruits que l’on peut qualifier de suspects

– et ce qui nous a paru très important, c’est le fait qu’au Japon des instituts soient capables de  prendre en charge ces enfants- là, et de tenter d’apporter une solution à ces problèmes-là.

Laisser un commentaire