Texte introductif du Docteur Marie-Jeanne Guedj
Introduction :
A travers la médiatisation des conduites de retrait des jeunes japonais appelées hikikomori, conduites qui se situent au carrefour du psychologique, du social et du comportemental, la question se pose mondialement :
- nouvelle forme de la transition à l’âge adulte (HAMASAKI 2017),
- poids de la psychopathologie (KOYAMA 2010),
- ou refus d’un diagnostic psychiatrique (FANSTEN 2014)?
Quelles que soient les justes considérations sociologiques, que cette conduite fasse partie de stratégies de refuge ou de révolte, le dessaisissement des moyens développementaux et l’auto sabotage sont au premier plan.
La description est celle d’adolescents et jeunes adultes âgés de 14 à 25 ans – parfois étendue de 13 ans (PIOTTI 2015) jusqu’à 35 ans dits « adultes émergents » (HAMASAKI 2017), ce qui correspond à l’expérience française (GUEDJ 2017) – et se trouvent dans cette situation depuis au moins 6 mois, ce que les travaux coréens et chinois (LI, WONG 2015) raccourcissent à 3 mois du fait de la pérennisation avérée après 3 mois d’enfermement. Ils passent la majeure partie de leur temps au domicile, évitant toute participation sociale habituellement significative (études, travail relations), n’ayant pas ou ne voyant plus les amis proches. Ils ne présentent pas d’incapacité physique ni non plus de pathologie psychiatrique s’assimilant à une schizophrénie évidente déjà diagnostiquée. L’usage immodéré d’Internet n’est plus considéré comme une cause mais il est associé à l’enfermement. On définit diverses utilisations d’Internet du plus au moins relationnel : poursuite des relations avec d’anciens amis réels ; cours interactifs par télé enseignement avec professeurs et élèves réels ; liens avec amis virtuels ; gains d’argent, jeux en réseau ; autodidactisme sans recherche relationnelle.
Aspects Historiques et Géographiques
S’il est réconfortant aujourd’hui de connaître les hikikomori et de pouvoir donner un nom à la conduite d’enfermement et de retrait, elle n’est pourtant pas localisée au Japon de ces 20 dernières années.
Historique de la Claustration / Hikikomori en France
GAYRAL 1953 écrit un article intitulé « Claustration à domicile ». Depuis plus de 60 ans, en utilisant cette terminologie monacale de claustration, l’enfermement à domicile est un sujet d’étude en France. Même si, à l’époque, le diagnostic de schizophrénie était souvent évoqué, les aspects sociétaux et environnementaux sont au premier plan. Ainsi « c’est un conflit malade-monde original », « c’est toujours le témoin d’une désadaptation grave, liée à une régression mentale profonde et à un dynamisme antisocial puissant » à quoi s’ajoute le « refus constant de voir un médecin ». La réflexion sur la dimension antisociale de cette conduite domine sur la recherche diagnostique.
LUAUTHE 1975 fait une présentation à la Société Médico psychologique « Sur un cas de claustration chez un psychotique ». Malgré le titre, le développement de la présentation met en doute ce diagnostic : « le diagnostic de schizophrénie a été porté à défaut d’un autre plus exact ». Il introduit et valorise l’idée « de trouble de l’identification parentale » à travers l’analyse des diverses générations dans la famille du patient et la recherche d’un sens transgénérationnel à cette conduite. L’observation du patient rapporte de nombreux traits des hikikomori d’aujourd’hui : enfance et adolescence normales mais moqueries par les autres, pensée logique et usage précis du vocabulaire technique, existence d’une vie ritualisée, clinophilie et restriction alimentaire pour se protéger, préoccupations du fonctionnement corporel, abolition de tout désir et de toute sexualité, absence complète de sens de l’humour le rendant victime de moqueries. Les analogies sont grandes avec les traits que nous retrouverons plus tard. En 1975, ce tableau est expliqué davantage par la rumeur circulant sur la famille, ou par la psychopathologie non reconnue de la mère. Et un tel cas semble une curiosité quand aujourd’hui le nombre va croissant.
LEBEAU 1984 écrit un mémoire/thèse intitulé « Les claustrations ». Il cite 22 cas et prône la visite à domicile effectuée par le secteur psychiatrique comme moyen d’accès au patient cloîtré. Même si le diagnostic est sévère dans la plupart des cas, les cas de séquestration par autrui sont considérés comme apparentés aux cas de claustration. Ce point mérite d’être relevé car, aujourd’hui, certains jeunes en retrait estiment y être contraints mentalement par leur entourage et/ou la société.
JEAMMET 1984 décrit l’actualité des « Conduites de retrait à l’adolescence » qui, selon lui, se développent depuis 20 à 30 ans. Sa description mêle des observations factuelles et une tentative de recherche de compréhension. Il décrit une rupture brutale ou insidieuse d’avec le mode de vie précédent, avec ou non des facteurs déclenchants, avec ou non la possibilité d’établir un diagnostic. Celui-ci se cantonnera le plus souvent à ce qui est désigné à l’époque par « psychose blanche », terme désignant un trouble psychotique non délirant sous-jacent à une conduite. La demande d’aide des parents peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années tant ils s’habituent à cette situation. Quand on rencontre le jeune, on observe une clinique toute de paradoxes, à savoir une passivité revendiquée activement, un non agir soutenu et quelquefois violemment défendu, un désinvestissement affiché et activement poursuivi. L’analyse de ces conduites montre que la coexistence d’une grande montée de l’agressivité envers un parent, en même temps qu’une extrême dépendance, se résout en apparence par le refus d’affronter et l’un et l’autre en se cantonnant au repli.
Nous avons eu affaire à plusieurs cas princeps dès 1988 que nous résumons dans ce cas hypothétique faisant la synthèse de plusieurs de ces cas (The following is a hypothetical case vignette synthesized from several real cases of hikikomori that illustrates the key characteristics of the condition TEO 2010). C’est typiquement le cas d’un jeune homme de 21 ans, enfermé depuis 3 ans, n’ayant pas d’autre antécédent qu’une timidité ancienne ayant occasionné un harcèlement à l’école. Lors d’une crise de colère à la maison, il va aux urgences et l’hospitalisation en psychiatrie met en évidence des propos inquiétants qui ont pu passer pour un délire, immédiatement estompé. A cette époque, le diagnostic aboutit à celui d’une pathologie chronique nécessitant neuroleptiques et orientation handicap. Mais le changement de point de vue des soins, basé sur la non existence d’un diagnostic avéré hormis celui de trouble de personnalité, le recours à des entretiens quotidiens, la mise en œuvre de la psychothérapie institutionnelle, l’arrêt des neuroleptiques, conduisent à la reprise des études ou d’une formation, puis à la sortie de l’hôpital. Ces jeunes ont alors exprimé leur souffrance de l’enfermement et la gratitude pour des soins qu’ils n’avaient pourtant pas accepté au début.
L’abord des patients enfermés rapporté dans ces travaux (GUEDJ 2008 « La claustration à domicile de l’adolescent », Congrès de l’Association Francophone d’Etude et de Recherche des Urgences Psychiatriques, GUEDJ 2011) découle de la création en 2005, aux urgences psychiatriques (CPOA hôpital Sainte Anne Paris) d’une consultation dédiée, dite « consultations familles sans patient » pour les familles inquiètes, venues consulter seules quand l’accès aux soins est impossible pour le patient qui refuse. Fallait-il renvoyer ces familles au motif d’attendre que le patient vienne (position médicale classique) ou entendre le fardeau supporté par la famille ? Nous avons décidé de recevoir les familles. Il apparaît alors des cas divers, de tous âges, souvent en rupture de soins, mais parmi eux de jeunes adultes cloîtrés, n’ayant pas eu d’accès aux soins, diagnostiqués anxieux ou dépendants s’ils avaient consulté en urgence (hikikomori primaires ou secondaires sur le modèle japonais ?).
Bien qu’il s’en soit suivi en 2009 une journée claustration/ hikikomori à l’hôpital Sainte Anne où les catégories diagnostiques (dysharmonie de l’enfance, mélancolie, catatonie), et les réponses de socialisation (Centre d’enseignement à distance, visites à domicile, approches par les mangas) sont explorées tout à la fois, cela reste un sujet peu connu des professionnels. Les medias commencent à publier, après un premier article dans Le Monde en 2012.
En 2013, les hikikomori au Japon sont présentés en France par H. BENHAMOU et M. DE LUCA. La journée d’échanges « Regards croisés France Japon », organisée sous l’égide de Paris V par M. FANSTEN, C. FIGUEREIDO et N. VELLUT revêt une importance majeure quoique confidentielle. Des chercheurs français et japonais se côtoient, développant à la fois une piste psychopathologique à la suite de la phobie scolaire ou de la psychose blanche, et à la fois une piste sociétale.
FURUHASHI et al tentent d’établir des ressemblances et dissemblances France-Japon, à partir de 10 cas. Il semble qu’au Japon, le retrait anticipe et évite une chute des idéaux personnels ou familiaux, alors que ce serait davantage suite à des difficultés concrètes que se ferait le repli en France. Ces hypothèses sont-elles aujourd’hui confirmées par la clinique en France ?
En 2017, des travaux d’épidémiologie diagnostique sont portés en France par l’équipe Psymobile de Lyon (CHAULIAC et al) qui ont pour ambition de fournir une description socioéconomique et une répartition diagnostique à partir de 66 cas. La demande d’aide a lieu après 2 ans 1/2 de retrait en moyenne, qui a commencé quand le sujet avait 20 ans. Beaucoup souffrent de désordres du sommeil à type de décalage et présentent peu de liens sociaux en dehors de la famille proche. Seulement 13% des patients ne relèvent pas d’un diagnostic psychiatrique et peuvent être considérés comme « hikikomori primaire ».
En 2019, des consultants travaillent en France silencieusement et ouvrent des consultations (Montpellier, Avignon, Lille, Bayonne…). La comparaison avec le Japon, entre claustration et hikikomori, donne lieu à un article dans le grand quotidien Asahi Shimbun « hikikomori un grand souci aussi en Europe » en août. Et nous avons organisé une journée scientifique d’études à l’hôpital Sainte Anne à Paris le 15 novembre, à laquelle nous avons tenu à convier les familles en saluant leur place de familles expertes.
La terminologie française comporte
- Claustration d’acception monastique. Ce terme a souvent été associé anciennement à la séquestration : séquestration volontaire, sentiment d’avoir été séquestré moralement
- Repli, retrait social d’acception sociale
- Réclusion assez nouvellement d’acception carcérale
- Et l’introduction de hikikomori (ce qui n’avait pas été le cas des termes japonais précédents) qui désigne à la fois le phénomène d’enfermement et la personne qui est concernée : hiki repoussé de l’extérieur vers l’intérieur, komoru retraite monastique
EVALUATION EN FRANCE
Aucune étude de société en France n’a posé le problème des jeunes enfermés quand ils sortent des radars de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire au-delà de 16 ans. Il semble que cela ne représente rien aujourd’hui pour les pouvoirs publics. Par ailleurs, et ce mondialement, plusieurs difficultés d’étude sont apparues (KATO et al, 2018). Ce phénomène est masqué par la honte des proches concernés à le signaler comme une anomalie, et d’ailleurs signaler quoi : un refus de travailler, une paresse, une tension intra familiale, ou une pathologie ? Ou doit-on comme au Japon faire porter l’étude sur ceux qui s’imaginent pouvoir un jour avoir envie de s’enfermer, ce qui à notre sens revêt le caractère d’un certain romantisme à s’identifier à l’ermite plutôt qu’une réelle évaluation des situations à risque ? De plus, la tendance mondiale serait de se préoccuper des personnes plus âgées qui restent enfermées (HAMASAKI 2017).
Si aucune étude ne permet d’évaluer le retrait social de 14 à 39 ans, 2 populations sont évaluées : les NEET (Neither in Employment Education Training) et les décrocheurs scolaires.
NEET prend en compte la diversité de situation des jeunes de 15/ 29 ans, c’est un acronyme apparu en Grande Bretagne à la fin des années 90. Dans le rapport de France Stratégie remis à la Ministre du travail en janvier 2017, il apparaît que le taux en France est supérieur à la moyenne européenne avec 17% de la jeunesse, soit 1.8 Million de NEET: 3% des 15/17, 16% des 18/24, 20% des 25/29 ans ; une inactivité depuis plus d’1 an pour 60% ; la plupart bénéficie du soutien des parents ; le taux d’équipement numériques est élevé (90%) mais les compétences numériques ne sont pas adaptées à l’usage professionnel. Parmi eux 460000 sont considérés comme invisibles, ni Pôle emploi, ni Mission locale, ni étude ou formation.
NEET et hikikomori montrent des tendances psychologiques qui dévient de celles régies par des attitudes culturelles, des valeurs et des comportements courants. L’hypothèse d’un spectre continu a donné lieu à l’élaboration d’une échelle NEET/HIKIKOMORI/Risk Factor (UCHIDA 2015) qui les traite non comme des diagnostics distincts mais comme un spectre de tendances psychologiques associées au risque d’être marginalisé dans la société.
Les décrocheurs scolaires ont été évalués par le Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire. Ce sont ceux qui atteignent la fin de l’âge de scolarisation obligatoire sans diplôme ni formation, soit 130 à 180000 jeunes
RESSEMBLANCES ET DISSEMBLANCES DANS LE MONDE. QUELS PAYS ?
C’est aujourd’hui un sujet mondial (nombreux pays de tous les continents ayant publié : Japon Chine Corée mais aussi Etats Unis Canada Allemagne Italie Finlande France Australie Bangladesh Brésil Iran Nigéria Ouganda Taiwan Thaïlande etc.). Mais, le consensus sur la définition et la description reste plus ou moins flou (LI WONG 2015) :
- Nette prédominance masculine
- La durée d’enfermement est-elle de 3 mois ou de 6 mois ?
- L’âge qui nous préoccupe est-il de 15/ 30 ou de 40/ 65 ans ?
- La description des addictions aux toxiques concerne-t-elle les jeunes reclus avant, pendant ou après l’enfermement ?
- Les facteurs de risque suicidaire sont présents sans que l’augmentation de passages à l’acte soit notée (YONG 2019)
- La description de la position des parents tant dans la psychologie personnelle que dans la position sociale ne fait pas l’unanimité : rôle spécifique du père, de la mère, milieu marginalisé ou socio culturellement élevé ?
LES LETTRES DES FAMILLES. QUELQUES EXEMPLES
The following is a hypothetical case vignette synthesized from several real cases of hikikomori that illustrates the key characteristics of the condition (TEO 2010)
Nous sommes les parents d’un garçon de 24 ans, et nous avons découvert le terme de hikikomori par un article de journal. Depuis nous avons fait des recherches, cela semble correspondre à ce que présente notre fils, mais lui n’est pas d’accord. Il a décidé il y a 5 ans d’arrêter ses études, maintenant cela fait 2,5 ans qu’il a rompu tout contact. Depuis plus d’un an il reste à la maison derrière ses jeux vidéo, et nous aimerions qu’il retrouve un goût à la vie en dehors des écrans, jeux vidéo, films -télé… Il passe le plus clair de son temps dans sa chambre, il la quitte pour aller manger à n’importe quelle heure en évitant de manger avec nous. Parfois il ne supporte pas qu’on lui adresse la parole, parfois il aime discuter de politique. Les années passent, et nous les parents on craque ; nous nous sentons complètement démunis, sans pouvoir en parler à personne. Ni la famille ni les amis ne comprennent, nous chargeant d’une trop mauvaise éducation selon eux. Alors on n’en parle plus, notre cercle de relations se raréfie, comme le sien finalement. Nous avons mis son repli en lien avec le deuil de son grand père et avec une rupture amoureuse, une rupture de plus en quelque sorte. A partir de la seconde il avait commencé à avoir de très mauvaises notes, des absences répétées et à fumer du haschisch. Mais tout cela s’est installé progressivement et nous gardions espoir avec les projets qu’il nous présentait et même le e learning. Aujourd’hui il ne veut pas du tout s’investir dans un suivi, il a refusé tout médecin, psychologue, relaxation … Nous cherchons des idées, des solutions, peut-être un psy qui accepterait de venir à domicile ? Et surtout nous aimerions savoir si d’autres cas comme celui de notre fils existent.
POSITION ACTUELLE DU PROBLEME
C’EST UN DEFI POUR LA PSYCHIATRIE ET SES CATEGORIES
On ne saurait pour autant négliger ce qu’elle tente de faire…La souffrance engendrée se décrit mal en raison de l’absence de consensus de définition, de l’absence de diagnostic, et des tâtonnements de prises en charge.
La définition japonaise simple, selon le Ministère de la Santé (référence 2010 actualisée 2016) est : « enfermement à domicile depuis plus de 6 mois, sans travail et sans études, avec une restriction des contacts sociaux »
La question du diagnostic constitue le débat prioritaire au Japon avec la distinction entre hikikomori primaire (sans diagnostic psychiatrique) et hikikomori secondaire (avec l’association d’un autre diagnostic psychiatrique, le hikikomori semblant alors une conduite secondaire ou associée à une maladie). Aujourd’hui (Ministère de la Santé 2010), la question se complique par l’introduction dans le hikikomori primaire de l’éventualité d’un diagnostic de schizophrénie non encore porté. A notre sens, elle se complique aussi des diagnostics de l’axe 2 du DSM qui comporte les troubles de personnalité et ne sont pas considérés comme des diagnostics de troubles, rejoignant l’ancienne terminologie psychanalytique de la « structure ». Les associations de familles au Japon sont convaincues à 85% d’un trouble psychiatrique, l’association nationale se nomme Zenkoku KHJ Hikikomori Oya no Kai soit « trouble obsessionnel/ complexe de persécution/ trouble de personnalité/ Famille ». La médicalisation de la prise en charge qui pourrait s’en suivre n’est pas incompatible avec une réflexion sociétale.
Nous observons, à travers la guidance et les groupes de parole avec les familles, des hikikomori primaires et des hikikomori secondaires mais le diagnostic est parfois posé, toujours critiqué. Il existe des positions contraires face au diagnostic psychiatrique : le souhaiter pour avoir une conduite à tenir, le récuser du fait de l’enfermement (sic) dans un diagnostic ? Quand il existe de façon rigoureuse, est-il cause ou conséquence de l’enfermement (étude diagnostique avec ceux qui sont sortis) ? La recherche d’un diagnostic catégoriel est insuffisante à rendre compte de la souffrance de tous, par exemple de nombreuses histoires de venues aux urgences ou en hospitalisation avec sortie très rapide du fait de « l’absence de diagnostic ». On ne considère pas un tableau incomplet ou les dimensions prodromiques d’un trouble. Enfin, l’enfermement dans la chambre n’est pas pathognomonique d’une pathologie, même psychotique (au contraire de la pensée autistique narcissique). Mais la prise en charge nécessite de tenir compte de l’enfermement, quel que soit le diagnostic. Le traitement de la pathologie diminue l’enfermement, l’arrêt du traitement y conduit.
La recherche de troubles organiques possiblement associés aux hikikomori donne mondialement les résultats, ou plutôt les pistes suivantes : antécédents de tumeur cérébrale dans l’enfance, éléphantiasis, activité GABA dans le cortex médian préfrontal et l’amygdale baso latérale, récepteurs cannabinoïdes, dysfonction hippocampique, béri béri, obésité et hypertension, cholestérol bas chez les femmes, acide urique bas chez les hommes.
Les considérations sociétales/ anthropologiques, depuis les travaux de LANTERI LAURA doivent faire partie des modèles de compréhension en psychiatrie, sans opposer ces diverses approches comme on aurait tendance à le faire. Nous abordons plusieurs questions.
- D’abord le constat de la disparition de l’errance qui s’explique peut-être par l’augmentation du contrôle social (il est difficile d’être dans les rues sans être contrôlé), mais aussi par la tentation qu’offre le fait de rester dans sa chambre avec accès à Internet ? L’errance est-elle remplacée par le retrait ? L’un comme l’autre sont un développement de l’espace comme substitut du déroulement temporel, et comme carapace protectrice ?
- Par ailleurs, le retrait du hikikomori est une forme de marginalisation, volontaire ou involontaire. Si on revient vers la classique révolte de l’adolescence, on peut se demander quelle place la société laisse-t-elle à une révolte des jeunes ? Dans la nouvelle famille qui favorise les liens affectifs et la satisfaction de tous les besoins, la tolérance est extrême aujourd’hui y compris sexuelle, et il n’y a nul besoin de révolte. Même dans les institutions scolaires et dans la vie sociale où le contrôle s’intensifie ? Par contre on assiste à une révolte virtuelle mondialisée qui se traduit chez ces jeunes par un intérêt constant pour la géopolitique ainsi définie ( ) en constatant que géopolitique et complotisme sont parfois très proches.
C’EST UNE SITUATION A COMPOSANTE ADDICTIVE
La terminologie de « situation hikikomori », valorisée par TAJAN, décrit à la fois le jeune enfermé et le phénomène plus général. On parle plus souvent du « syndrome hikikomori » avec ses caractéristiques plus ou moins consensuelles. Il décrit la spécificité d’une conduite qui concerne surtout le jeune adulte (on a dit auparavant post adolescent), et qui prend place sur un « parcours de vie ». La question d’un diagnostic catégoriel ou de personnalité s’est posée, elle s’est élargie par l’introduction de « maladie non encore diagnostiquée ».
Peut-on définir le hikikomori comme une conduite, avec ou sans diagnostic psychiatrique associé, ou décrire les dimensions de personnalité (passivité, dépendance, hostilité, processus adolescent esquivé SUZUKI) ? C’est une conduite involontaire (plus subie que choisie ?) pour le jeune, les parents, l’environnement, qui tend à se répéter dans le temps pour le jeune, et à s’étendre dans la famille. Elle se montre protectrice un temps, destructrice rapidement. Elle mérite un travail de prévention. Elle est difficile à mobiliser, comme une gangue d’enfermement / et ou de protection, avec une dimension d’auto dépréciation et de honte. Les risques auto ou hétéro agressifs ne sont pas absents. Certains travaux (thèse FUNAKOSHI Tokyo 2011) montrent que le fardeau supporté par la famille est identique, selon qu’il y ait ou non un diagnostic associé (hikikomori primaire ou secondaire).
A mesure des échanges dans le groupe de parole entre familles et professionnels depuis 2017, on a pu formaliser les 11 items suivants caractéristiques de ces jeunes :
- Anxiété
- Empathie, hypersensibilité à l’autre
- Perception de souffrance pour soi
- Prise de conscience de son mal-être
- Sentiment d’injustice
- Violence
- Repli dans l’imaginaire
- Intérêt particulier pour la géopolitique
- Sentiments dépressifs selon la triade de Beck (vision péjorative soi, monde, avenir)
- Souhait de séparation
- Attitude variable vis-à-vis des parents : hostilité, indifférence, comportement affectueux.
La question des addictions est souvent évoquée : consommations diverses avant, pendant, après, ou pas du tout ? Ce serait une différence France-Japon (FURUHASHI) que ces consommations diverses qui n’existent pas au Japon. Dans notre expérience, nous n’avons que rarement relevé des addictions à des substances pendant la période d’enfermement ; pendant la période précédente par contre il n’est pas rare de trouver une surconsommation de cannabis ou d’alcool ou un trouble du comportement alimentaire.
Par contre, nous pouvons parler de l’enfermement comme une addiction à l’espace clos de la chambre prenant la place d’une gangue, d’un Moi-peau, d’un objet infini de satisfaction ou plutôt d’abolition des tensions, consommé en solitaire, jamais décevant. Même Internet ne répond pas à la définition de l’addiction : l’addiction aux jeux vidéo est « un comportement (…) qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ». Selon une étude publiée en 2018 par des chercheurs des universités d’Oxford, Johns-Hopkins, de Stockholm et de Sydney, intitulée « Une base scientifique faible pour le trouble du jeu vidéo : restons du côté de la prudence », contrairement au tabac ou à l’alcool, rien n’indique que c’est le jeu en lui-même qui crée l’addiction. Il pourrait n’être que l’expression de pathologies préexistantes : vous avez des troubles dépressifs donc vous vous enfermez dans le jeu vidéo, pas l’inverse.
PRISE EN CHARGE : NE JAMAIS ABANDONNER ET INVENTER
Si on peut dès lors parler de thérapeutique et de prise en charge, c’est dans un but de soulagement de la souffrance de tous. Sortir de l’enfermement ? Prendre conscience de l’auto sabotage effectué bien involontairement par le jeune ? Assurer une qualité de vie ? La reconnaissance du soin apparaît possible.
Alors quelles sont les pistes thérapeutiques, sans que des recommandations strictes n’aient reçu un consensus mondial ? Quelle psychiatrie aujourd’hui peut répondre ?
Les recommandations du Ministère de la Santé japonais en 2010 comportent 4 étapes qui ressemblent fortement aux protocoles des soins psychiatriques en France dès la 2ème étape :
- Avant tout guidance familiale pour l’accès aux soins
- Psychothérapie individuelle du jeune
- Thérapies de groupe
- Activités de socialisation
Quels sont, et sur quoi aujourd’hui en France peuvent se baser les consultations de guidance familiale ? La guidance parentale comporte des consultation(s) sans le patient, les parents viennent à deux, ou seulement la mère, mais aussi seulement le père. La situation globale du jeune hikikomori dans la chambre de la maison parentale est-elle conséquence ou cause d’une anxiété partagée et d’un trouble partagé de l’attachement ? Tous souffrent et craignent en même temps une impossible séparation : alléger la souffrance des parents et alléger le sentiment du jeune d’être poussé vers l’intérieur (séquestration invisible ?), accepter positivement le jeune (NONAKA)? En somme devenir parent d’un adulte, même s’il est encore dépendant ?
Dans le but de restaurer l’autonomie de chacun dans le groupe familial, et de prendre conscience de l’installation insidieuse du double hikikomori (enfermement relationnel de la famille en miroir de celui du jeune), les entretiens de guidance se centrent dès lors sur :
- Constater que mettre la pression est devenu contre productif
- travailler le déplacement de la culpabilité sur la situation hikikomori
- accepter la différenciation d’avec les parents plutôt que l’imitation ou identification
- ne pas s’isoler soi-même, provoquer l’intervention d’un tiers (soignant, famille, amis, ou même technicien, ménage…)
- faciliter la sociabilité des parents par le groupe familles/ professionnels
- lutter contre l’invisibilité sociale du jeune par les aides sociales
EN RESUME
L’enfermement à domicile du jeune est un problème mondial, particulièrement important en France (160 lettres de familles France entière reçues en 2 ans sur un seul guichet d’entrée)
Qu’il soit associé ou non à un diagnostic psychiatrique
- C’est une conduite qui tend à se répéter
- Qui enferme la famille aussi
- Dans une difficulté partagée d’attachement/ séparation
C’est un auto sabotage plutôt involontaire que choisi
- La qualité de vie est inférieure à celle des déprimés (BIBLIO)
- Le maniement d’Internet est bien loin d’une vie professionnelle
- L’intérêt pour la géopolitique peut frôler le complotisme
Soulager le fardeau familial par des entretiens de guidance
- Sortir de la culpabilité et la honte
- En finir avec les parents de l’enfance
- Se débarrasser de la pression
- Sortir de l’isolement et faire intervenir des tiers
Sensibiliser la réponse psychiatrique avec les outils de la visite à domicile et de la prise en charge communautaire ?
Parfois se pose l’indication d’hospitalisation dans un service qui prend son temps, en accord complet avec la famille.
Cela prend du temps…