Place des soins institutionnels en Hospitalisation. Texte du Docteur Moreno , Médecin praticien Hospitalier au secteur 3 de l’Hopital Ste Anne à Paris – Service du Dr Marcel . Le Docteur Moreno a eu à accompagner et soigner plusieurs jeunes atteint de ce syndrome , il nous livre son analyse très pertinente Introduction .
Bonjour à tous, tout d’abord je remercie Marie-Jeanne Guedj de m’avoir invité à participer à cette journée.
Je suis Praticien Hospitalier au Secteur 3 dans le service du Dr MARCEL.
Actuellement j’occupe le poste de responsable de l’équipe Personnes Âgées au sein du CMP, donc je reste dans la même thématique des patients retranchés et isolés au domicile mais pour des raisons bien différentes !
Mais avant cela j’ai travaillé dans notre unité d’hospitalisation de secteur, située au bâtiment Levy Valensi, ici à Sainte Anne, où nous acceuillons régulièrement des patients Hikikomori dans le cadre d’un partenariat avec le Dr Guedj et le CPOA, parce-qu’ il nous paraît essentiel de proposer des soins à ces jeunes, souvent invisibles et laissés pour compte.
Nous l’avons vu, il peut exister des situations Hikikomori dites « Primaires », sans trouble psychiatrique apparent, et d’autres situations dites « Secondaires » où la conduite de repli est associée à un diagnostic psychiatrique. Nous n’évoquerons pas ces secondes situations car la conduite à tenir consistera d’abord à traiter le trouble psychiatrique et – en théorie – nous savons le faire.
Mais dans le cas des Hikikomori Primaires, qui n’existent dans aucune nosographie, il n’existe pas de conduite à tenir bien définie. Je vais donc tenter de vous exposer là quelques généralités à partir de notre expérience clinique de prise en charge de ces patients.
La prise en charge institutionnelle .
Voici un éventail de ce que l’on peut proposer comme soins dans notre unité d’hospitalisation :
- La prise en charge médicale et infirmière (entretiens, traitement médicamenteux)
- La prise en charge familiale
- La PEC psychologique individuelle
- La PEC psychomotrice individuelle
- L’art-thérapie
- Les activités thérapeutiques (musicales, sportives, ludiques, culturelles)
- Les réunions d’équipes et synthèses pluridisciplinaires (avec invités extérieurs)
Nous détaillerons ces éléments mais avant cela il me semble important de parler des modalités d’hospitalisation.
Modalités de l’hospitalisation .
Nous recevons des jeunes dont les familles ont initialement sollicité le Dr Guedj puis ont été pris en charge au CPOA à la consultation famille sans patient (CFSP) mais pour lesquels les solutions ambulatoires ont échouées.
Après une démarche de la famille auprès de la CSFP, la grande majorité des patients (environ 70%) accepte de venir en consultation au CPOA. Pour les autres qui refusent des visites au domicile sont organisées par l’équipe du CPOA.
Nous accueillons donc la minorité de patients pour laquelle ces visites se sont soldées par un échec.
L’hospitalisation constitue ainsi une solution de dernier recours quand la situation de repli est pérennisée et que le jeune refuse toute prise en charge. Le dialogue est rompu avec sa famille et tous les acteurs sociaux et de santé. En général il y a déjà eu plusieurs tentatives de reprise d’un rôle social qui ont échouées, par exemple la reprise d’une scolarité dans un établissement non traditionnel.
Une modalité essentielle que nous allons voir maintenant est celle de l’hospitalisation sans consentement des patients (permise par la loi du 5 juillet 2011).
La mesure de contrainte (SPDT) .
Il s’agit donc de la mesure de Soins Psychiatriques à la Demande d’un Tiers.
Elle s’avère indispensable, les patients faisant preuve d’une telle ambivalence que les quelques tentatives d’hospitalisation libre dans le service ont échouées.
Cette nécessité peut donc constituer un frein à un début de prise en charge. En effet, le prérequis est l’approbation d’un tiers, c’est à dire les parents, à un tel projet d’hospitalisation. Envoyer son enfant à l’hôpital psychiatrique, de surcroît dans un service adulte, est une lourde responsabilité, d’autant plus lorsque la relation avec lui est déjà très conflictuelle.
La deuxième difficulté est pour nous, médecins. Elle va être de motiver la nécessité d’une mesure de contrainte dans un contexte ou les libertés individuelles sont sacralisées et où l’on observe de plus en plus de levée des mesures par les JLD (Juges des Libertés et de la Détention). Il nous faut donc argumenter en quoi le comportement du jeune est pathologique et en quoi les troubles empêchent un consentement libre et éclairé aux soins alors que ces jeunes n’expriment aucune plainte ni souffrance et ne manifestent que peu de symptômes.
Ce que l’on peut dire de la mesure de contrainte c’est qu’elle marche !
Alors même que ces patients semblent échapper à toute autorité, on constate que la mesure de contrainte fonctionne très bien et que sa symbolique est très puissante. Elle semble les soulager de toute prise de décision et leur donne une « excuse » pour passer à l’action sans en endosser la responsabilité. Nous n’avons noté aucune résistance physique, agitation ou tentative de fugue au moment d’entrer en hospitalisation.
On remarque que durant les premiers jours ils expriment une colère intense contre l’hospitalisation et ses décisionnaires, qui les privent de ce qu’ils estiment être leur liberté de choisir ce mode de vie. Ils se sentent brutalisés par ce changement soudain. Ils vivent la contrainte comme de l’autoritarisme et y voient une décision impulsive et brutale, alors que tous les patients avaient été avertis en amont de cette possibilité.
Parallèlement, alors que la décision d’hospitalisation et les soins sont rejetés dans le discours, on constate une avidité d’entretiens avec une difficulté à les quitter dès le départ. Rapidement ils se montrent bons élèves et font l’effort de participer du mieux qu’ils le peuvent aux soins, initialement en prétextant la contrainte (« de toutes façons je n’ai pas le choix »).
Peu à peu, la colère et le déni tombent à mesure qu’ils constatent notre investissement et nos préoccupations authentiques à leur égard – c’est là que l’on constate les défenses narcissiques et paranoïaques. Ces patients demandent plus de temps et d’investissement que les autres. Finalement, les patients admettent sans difficulté que la contrainte se situe plus dans l’enfermement qu’ils s’imposent comme un choix par défaut et deviennent accessibles à la construction d’un projet.
Pour l’anecdote et pour témoigner de la force de la contrainte, nous avons eu un patient sorti en programme de soins (pour les non médecins, il s’agit du prolongement de la contrainte en ambulatoire avec obligation de suivre des soins au CMP ou dans un HDJ par exemple) et qui ne voulait surtout pas qu’on lève la mesure de contrainte tellement elle le sécurisait, de peur de rechuter !
Modalités de l’hospitalisation
L’entrée à l’hôpital s’accompagne d’une évidence : le non-retour au domicile et donc la nécessité de se trouver un projet d’après hospitalisation. Je dis « évidence » car aucun patient n’a vraiment revendiqué son retour au domicile. Là encore on retrouve cette dualité entre déni et compréhension de leur situation.
Ce sont des prises en charges longues. Il faut compter environ 4 mois.
La période initiale de colère dont nous avons parlé s’accompagne de décisions et d’engagement peu fiables, pris seulement sous l’effet du rejet de l’hospitalisation. Leur première motivation est de quitter l’hôpital !
Ce sont des patients qu’on ne peut pas brusquer, qui ont besoin de temps pour faire leurs choix et s’approprier un projet.
Ce qui complique encore un peu les choses est la méconnaissance de ce trouble qui peut rendre difficile l’acceptation des demandes de transfert dans les structures post-hospitalières qui, de plus, sont rares.
L’hospitalisation temps plein n’est donc « qu’un pied à l’étrier », jusqu’à présent les projets ont été de passer le relai à une autre institution dont l’organisation permet un travail dans la durée (clinique de psychothérapie institutionnelle, soins-études, foyer de vie + HDJ).
Les soins
Les entretiens individuels :
Que ce soit avec le médecin, la psychologue ou les infirmiers, les patients en sont très avides. Les entretiens durent souvent longtemps et ils ont du mal à quitter le bureau mais paradoxalement il ne s’y passe pas grand chose. Ils sont globalement peu accessibles à la psychothérapie. L’élaboration est souvent pénible. La relation duelle peut aussi les mettre mal à l’aise. Ce n’est donc pas tant le travail psychique personnel du patient qui compte que l’investissement soignant que nous mettons dans ces entretiens et qui leur apporte une contenance.
Les activités thérapeutiques :
Elles sont les compléments indispensables aux entretiens à travers les diverses médiations proposées : par exemple la pâtisserie, le sport en particulier la piscine (qui est intéressante dans le rapport au corps), la musique (il y a piano et guitare dans le service), et les activités de groupe : jeux et sorties culturelles.
Soyons honnêtes : il faut vraiment les pousser à y aller et à participer. On remarque qu’il leur est difficile de créer du lien avec les autres, qu’ils soient patients ou soignants. Ils ont aussi des difficultés à la prise d’initiative.
Les Soins
L’art thérapie :
Nous avons la chance que cet espace soit animé par un infirmier art-thérapeute donc aussi artiste, Vincent Chielens. Là aussi on relève une difficulté à être créatif, une lenteur à la prise d’initiative et à s’ouvrir.
La psychomotricité :
Je remercie Elodie Arnaud, notre psychomotricienne qui est aussi psychothérapeute et psychosomaticienne, pour son aide et pour son travail.
Nous avons remarqué qu’après une posture « adolescente », offrant une résistance passive lors des premières séances, l’investissement de cet espace était rapide et avec une bonne adhésion. Là encore cela se fait au prix d’un fort investissement soignant : 3 séances par semaine durant toute la durée d’hospitalisation.
Du fait d’une posture de retrait prolongée il y a toujours des choses à traiter chez tous les patients Hikikomori, que ce soit un rapport au corps perturbé ou des manifestations psychosomatiques. Pour donner quelques exemples on observe des troubles du tonus avec une hyponie de surface contrastant avec une hypertonie interne qui se manifeste par une tension, une colère ou un mutisme. Ils sont mal à l’aise avec leur corps ce qui se traduit par une démarche stéréotypée, rigide, et une limitation des déplacements moteurs. On note aussi une faible activité onirique avec désinvestissement de l’image de soi, un « rétrécissement » du champ visuel avec affaiblissement des interactions dans le regard de l’autre. Les réactions psychosomatiques sont fréquentes, en particulier dermatologiques (eczéma, psoriasis).
Le travail psychocorporel permet aussi de les aider à créer un espace d’autonomie qui favorise l’accès au passage de l’individuel au groupe. Ainsi dans l’unité d’hospitalisation cela permet l’intégration progressive du patient aux activités et à l’art-thérapie et l’apprentissage d’être seul en présence des autres.
Les soins
Le traitement médicamenteux :
Dans le cas des Hikikomori primaires il ne faut pas en attendre des miracles mais il trouve sa place notamment dans la régulation émotionnelle. Il s’agit en général d’un traitement thymorégulateur ou antidépresseur, dans ce cas il convient de surveiller le risque virage maniaque. L’acceptation n’est jamais immédiate et survient généralement en milieu d’hospitalisation du fait d’angoisses d’intrusion et de craintes liées aux représentations des psychotropes. Une autre difficulté est cette fois liée aux représentations de nous autres soignants : il est difficile d’accepter qu’une ordonnance reste vierge durant plusieurs semaines, d’autant plus pour quelqu’un hospitalisé à temps plein et sous contrainte !
La prise en charge familiale :
Elle est indispensable. Il existe presque toujours des difficultés de séparation ou des troubles de l’attachement dans les antécédents. Les familles sont reçues au moins une fois en début d’hospitalisation et par la suite cela varie au cas par cas. Beaucoup de parents ont déjà une prise en charge au groupe famille au sein du CPOA et bénéficient parfois aussi d’une guidance par le Dr GUEDJ.
Nous réfléchissons à un dispositif spécifique via notre unité de thérapie familiale.
Sans aller jusqu’au « contrat de séparation » existant dans les unités adolescentes nous préconisons d’abord aux familles de se mettre en retrait, en ne prenant des nouvelles que ponctuellement, puis sont organisés des permissions en famille, de préférence et quand cela est possible, ailleurs qu’au domicile.
Conclusion .
Nous prenons donc en charge des patients à la symptomatologie très complexe. Ils n’existent dans aucune nosographie, ils ne présentent pas de symptômes évidents. Ils ont ont l’air d’aller bien en apparence et n’ont pas de plainte. Quand ils sont hospitalisés ils occupent les lits durant des mois alors qu’ils ne prennent presque aucun traitement médicamenteux. Ajoutons à cela les variations d’humeur, les réactions de recul et de repli ou encore les petits grains de sables qui chez les Hikikomori se transforment en montagnes infranchissables. Malgré la bonne adhésion aux soins ainsi que la longue durée d’hospitalisation et les nombreux abords thérapeutique que sont : les entretiens individuels et familiaux, les activités thérapeutiques, l’art-thérapie, la psychomotricité, etc. les conflits psychiques qui traversent les patients Hikikomori et leurs proches ne se dénouent jamais durant ce temps d’hospitalisation et n’évoluent que très lentement. On comprend alors aisément la nécessité d’une approche institutionnelle aussi bien pour l’hospitalisation que pour l’après-hospitalisation.
Résumé :
Les patients Hikikomori sont souvent méconnus du grand public mais aussi de la plupart des professionnels de santé y compris dans le domaine de la santé mentale. Pourtant, ce phénomène, observé initialement au Japon, ne cesse de gagner du terrain et des descriptions cliniques sont désormais faites dans de nombreux pays dont la France. A cette absence de repérage clinique viennent s’ajouter des freins majeurs à leur prise en charge : l’absence de trouble psychiatrique, l’absence de demande, voire parfois l’absence de souffrance exprimée. Ces jeunes se retrouvent alors le plus souvent exclus des dispositifs sociaux et sanitaires traditionnels. L’aspect pathologique et la souffrance sous-jacente à cette conduite ne sont pourtant plus à démontrer. Lorsque les prises en charges ambulatoires ont échouées, se pose alors la question d’une hospitalisation au cours de laquelle notre expérience clinique nous a montré que seule une prise en charge institutionnelle, globale et variée, permettait à ces patients de reprendre le cours de leur vie. Nous tenterons alors d’en esquisser les spécificités.
Présentation Personnelle :
Dr Mathias Moreno, Psychiatre, Praticien Hospitalier au Secteur 3, Pôle 5-6ème arrondissement, Hôpital Sainte-Anne. Notre unité d’hospitalisation prend régulièrement en charge des patients Hikikomori dans le cadre d’un groupe de réflexion clinique pluridisciplinaire sur leur prise en charge.